« ... Les hommes [...] touchent simultanément, comme des géants, plongés dans les années, à des époques vécues par eux, si distantes – entre lesquelles tant de jours sont venus se placer – dans le Temps. » J’ai pensé qu’il serait pertinent de citer Proust dans cet espace. Quelqu’un – qui n’avait certainement pas hésité à inclure sa propre personne dans l’affaire - avait dit que tous les grands penseurs pensaient fondamentalement à la même chose. Proust est mon écrivain français préféré mais il est assez difficile d’extraire de ses écrits une citation courte. Par conséquent, la phrase précédente est inévitablement une phrase fragmentée.
Nous, c’est-à-dire ceux qui vivent en Turquie, nous sommes géographiquement très bien placés pour pouvoir toucher à de multiples époques et temps différents. Cela peut parfois nous conduire à la lassitude car bien que nous puissions toucher à des époques distantes et à de multiples cultures, nous avons le sentiment que rien ne change. Nous évitons évidemment d’accepter cela : tant de choses ne peuvent avoir subsisté sans avoir changé ! En fin de compte, le changement existe en tant que réalité et le temps s’écoule continuellement comme une rivière. Néanmoins, nous ne pouvons malheureusement pas échapper au sentiment de l’immutabilité et à la différence d’un autre grand écrivain, nous insistons pour nous baigner dans les mêmes eaux. Ce qui nous reste à faire alors est d’observer les impressions. De nouveau, avec les mots de Proust : « Seule l’impression, si chétive qu’en semble la matière, si invraisemblable la trace, est un critérium de vérité et à cause de cela mérite seule d’être appréhendée par l’esprit, car elle est seule capable [...] de l’amener à une plus grande perfection [...] ». La réalité est le rapport entre les impressions et les souvenirs qui nous entourent en même temps. L’effort d’objectivité est peut-être une manière de revisiter les impressions avec une certaine distance. Oui, nous cherchons à pérenniser les impressions volatiles. D’autre part, même si nous arrivons à être objectifs, nous sommes obligés de prendre parti et d’en défendre les vertus. En plus, il ne s’agit pas d’une vertu toute naïve mais plutôt de l’un des moyens de respirer tout en restant nous-mêmes.
En cette belle soirée de printemps, je voudrais éviter de prolonger mon discours davantage en construisant de longues phrases. Un discours bénéfique est toujours un discours court. Je remercie vivement tous les membres du Jury pour avoir décerné le Prix Littéraire du Lycée Notre-Dame de Sion à mon roman Zaman Lekeleri, tous ceux qui ont préparé cette belle soirée, les directeurs des éditions Yapı Kredi pour ne m’avoir pas laissé seul et mes amis qui m’ont accompagné ce soir. Je voudrais finalement saluer mon épouse Barbara, qui n’est pas parmi nous en ce moment. Je vous remercie de nouveau.